About.

After studying agronomy, Régis Figarol entered the Ecole des Beaux-Arts in Paris from 1992 to 1995, during which time he explored three mediums: drawing, painting and photography. From 1999 onwards, he devoted himself to video and photography. In 2008, he started a work of photographic portraits that he still continues today.

The last exhibition took place in Paris in a gallery specialised in photography, this time the work shown was still lifes.

Critique de Paul Ardenne.

Régis Figarol, photographe basé à Paris, est un adepte du « portrait vérité ». Quid de ce type de portrait ? Tel que le définit la photographe et théoricienne Gisèle Freund, qui en a forgé le concept et s’y est essayée, le « portrait vérité » est l’amalgame réussi, par le peintre, le sculpteur ou le photographe, de l’apparence d’une personne et de sa psyché. L’image, la matière ne sauraient être le seul reflet de la personne, une simple mise en miroir. De la ressemblance doivent encore émaner l’esprit de cette même personne, sa psychologie, son « être » profond. Il est difficile pour les historiens de l’art de dater les débuts de la pratique du « portrait vérité ». Commence-t-elle dès l’antiquité avec les portraits du pharaon Akhenaton, avec la collection de ceux des empereurs romains conservés à la Glyptothèque de Copenhague ou avec les fameuses fresques sépulcrales du Fayoum ? Le portrait du roi français Jean le Bon conservé au Louvre, si particulier dans sa manière de représenter non idéalement la figure d’un monarque, en est-il une autre expression ? Jean-Auguste-Dominique Ingres, avec son Portrait de Bertin l’Aîné, s’en rapproche incontestablement. Tel que le peintre néoclassique en fige les traits, le directeur du Journal des Débats y est montré certes comme un homme de pouvoir mais aussi, derrière la rudesse de la pose (Louis-François Bertin, de face, nous regarde, ses mains aux doigts énormes faisant songer à des serres d’oiseau de proie), comme un individu pensif, assurément plus raffiné qu’il n’y paraît de prime abord : un manager mais aussi un homme de conviction et d’esprit.

 Refuser l’idéalisation et lui préférer le véridique, l’expression de la personnalité, est dans la même veine au coeur de la photographie telle que la pratique Régis Figarol. Portraitiste « véritaire », Régis Figarol a mis au point un très singulier processus de prise de vue le voyant s’engager directement et frontalement avec son modèle. Le modèle et le photographe, dix bonnes minutes durant, se font face, de très près, en se regardant dans les yeux. Il résulte de cette « pause » personnalisée, propice à un échange complexe des regards (faut-il en rire, se porter à la gravité, s’indifférer, penser à autre chose… ?) une transformation du visage que le photographe va saisir quand le moment lui paraît propice. Quiconque a été confronté à ce type de prise de vue le reconnaît volontiers. D’une part, cette manière d’être portraiturée n’est pas banale, elle serait même, à la limite, gênante, parce que portée sans que l’on s’y attende à révéler une part de pulsions intimes. D’autre part, le résultat obtenu est toujours surprenant, et d’ailleurs tous les portraiturés ne s’y reconnaissent pas. En dix minutes de face à face, le corps se tend, se relâche, se crispe, s’oublie…, en une succession plus ou moins bien maîtrisée d’affects qui trouvent sur le visage leur inévitable traduction, s’essaierait-on à les dissimuler. Le masque tombe-t-il ? L’armure de la sur-individualité se fissure-t-elle ? Difficile à dire. Quelque chose se passe, quoi qu’il en soit, ce quelque chose qui pourrait être, après tout et pour solde de tout compte figuratif, la « vérité » du visage et, par extension, celle du corps, celle de la personne.

 Régis Figarol a réalisé à Chêne-Bourg, sur ce mode spécifique, 150 portraits. Le nombre des personnes rencontrées, fixées yeux dans les yeux avant d’être photographiées, en dit long sur le critère d’immersion à la fois individuelle et sociale de l’entreprise. Le photographe a passé beaucoup de temps à Chêne-Bourg, il y a observé la vie, il y a fait maintes rencontres. Sa sélection des personnes avec lesquelles il a engagé le processus de la prise de vue, on y consent, est des plus larges, et de prime abord démocratique.

 Donner une image tangible d’un peuple, d’une collectivité, d’une communauté, d’un clan par l’accumulation des portraits photographiques : nombre de photographes, avant Régis Figarol, s’y sont essayé, le plus célèbre étant, voici bientôt un siècle, August Sander, grand documentariste de la République de Weimar, avec sa galerie d’Allemands envisagés, selon ce maître de l’image biographique non ennemi de la mise en scène, comme des « hommes du 20e siècle » (Le Visage de ce temps, 1929). Que sont donc, à présent, les hommes et les femmes du 21e siècle, ceux et celles de Chêne-Bourg, si l’on en croît Régis Figarol ? Une population à dominante blanche faite de travailleurs des deux sexes et ce, dans un environnement politique où les femmes sont partie prenante et d’où la solidarité n’est pas exclue. Est-ce crédible et sérieux ? Est-ce là, pour employer un terme désuet, l’expression de l' »âme » de Chêne-Bourg ? Plus largement, résulte-t-il de l’entreprise de Régis Figarol, sur un mode identitaire général, le portrait même, le « portrait vérité » de Chêne-Bourg, commune méridionale du canton de Genève peuplée de cent fois plus d’habitants (8708 habitants en 2017) ? 1 % de portraits pour 100 résidents, diront les statisticiens, voilà qui ne fait pas d’office un « échantillon représentatif ». Faute d’avoir photographié un à un chaque habitant de cette commune jouxtant la France, visitée comme telle journellement, qui plus est, par un grand nombre de travailleurs français, Régis Figarol n’en fixe certes pas l’identité totale, sur un mode policier ou anthropologique. Sa série de portraits est, de fait, une interprétation, le résultat d’une impression, d’un ressenti au contact de la population chêne-bourgeoise. Si le compte, certes, n’y est pas, faute que tout un chacun des résidents de la commune se soit prêté au travail du photographe, il n’est assurément pas loin.

 On connaît ce point de vue intraitable de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges selon lequel la carte parfaite ne peut être que le territoire lui-même. Soit. Mais alors, comment former, par le détail, l’image du tout ? Régis Figarol, faute d’être démographe, est un visiteur sérieux, il n’est pas un rapide passager du vent, un nomade vivant sous le régime actuel de la TGV, cette Très Grande Vitesse devenue l’élément rythmique essentiel de nos vies de commuters sillonnant sans délai le monde globalisé. Venu à Chêne-Bourg pour une mission spécifique, donner une image humaine de cette cité, il s’y adonne avec rigueur, patience, constance, réflexion. Sa méthode photographique, réglée par le primat du « regard pensif » (Régis Durand), ne saurait donner crédit aux impressions fugaces. En enracinant son regard dans le regard des Chêne-bourgeoises et des Chêne-bourgeois, en fabriquant à partir de cet échange très personnel l’équivalent d’un inventaire des regards de quelque part et non de nulle part, Régis Figarol rappelle au fond cette évidence : si l’humanité est bien une, au-delà des races et des cultures locales, elle est aussi, en dépit de son unicité biologique, diverse. À Chêne-Bourg comme ailleurs.